J’étais à Paris lundi pour voir le Boss, oui encore. J’ai compté, à la louche, c’était la 48 éme fois. J’étais persuadé que je passerais une magnifique soirée, comme les 47 fois précédentes. Mais hier, il y a eu l’extra-balle, la cerise sur le gâteau, le soleil de minuit. Hier, il y a eu comme une porte qui s’est ouverte vers une autre dimension.


J’aurais pu, j’aurais dû commencer ce papier par les mots de Landau, le manager du Boss, ceux qu’il a écrits en 1973 lorsqu’il était encore journaliste. En le paraphrasant légèrement, il avait écrit : « J’ai vingt-sept ans aujourd’hui et je me sens vieux. J’écoute mes disques et je me rappelle qu’il y a dix ans les choses étaient différentes. Mais je connais quelqu’un à propos duquel je peux écrire comme avant, sans réserve aucune. Un soir où j’avais besoin de me sentir jeune, il m’a fait sentir comme si c’était la première fois que j’écoutais de la musique. Lundi soir en concert, j’ai vu le futur du rock’n’roll et son nom est Bruce Springsteen. »
A Werchter samedi, Bruce (je l’appelle Bruce pour faire croire que je le connais) a joué 41 shots, c’est la première fois que j’entendais ce morceau en ‘vrai’. Un titre qui prend une dimension supplémentaire dans le contexte des émeutes raciales en ce moment aux Etats-Unis. Cette chanson évoque un fait divers tragique arrivé à New York en 2000. Amadou Diallo est abattu par 4 policiers dans le Bronx, 41 balles ont été tirées alors qu’il tentait de sortir son portefeuille, juste son portefeuille, il n’était pas armé. Les 4 policiers ont été acquittés. C’est dans l’écoeurement de cet acquittement que Springsteen avait écrit cette chanson dont le refrain dit :
Est-ce un pistolet ? Est-ce un couteau ? Est-ce un portefeuille ?
C’est ta vie. Il n’y a pas de secret, il n’y a pas de secret,
Pas de secret, mon frère…
Tu peux te faire tuer uniquement parce que tu vis dans ta peau d’américain
Au début de cette chanson, généralement il demande au public du silence. L’émotion est forte, tellement forte.
Hier à Paris, il y a eu d’autres morceaux que je n’avais jamais entendus en concert. Mais il y a surtout eu… Hier soir à Paris… Oui, hier soir à Paris, vous savez la ville lumière ? Et bien justement, les lumières se sont éteintes. Au moment où le E Street Band jouait Ramrod, ça a disjoncté. Kaput !
L’ambiance était à la fête, à l’émotion aussi et d’un seul coup plus rien, les écrans, le son, la lumière. Le E Street Band continuait à jouer, un son imperceptible parvenait difficilement jusqu’au dixième rang en étant couvert régulièrement par un message d’alerte de Bercy. Les néons de secours se sont allumés. Après 10 bonnes minutes, le groupe s’est arrêté de jouer, un monsieur surement important est venu sur scène et a parlé aux musiciens. Bruce est allé dans la foule chercher un de ces fameux panneaux de request, il a pris un gros feutre et a écrit dessus « 5mn ».
Alors on a attendu. Je me disais « Fais chier, c’est peut-être mon dernier concert de Bruce et ça foire. » Je maudissais Bercy, cette salle refaite à neuf, si jolie et qui ne peut même pas fournir du courant pendant tout un concert. J’aurais eu le responsable devant moi, j’aurais été capable de lui dire des choses plus détestables encore qu’à un butteur portugais un soir de finale de l’Euro !
La sono a redémarré péniblement, en partie, en partie seulement. Moins de puissance, un son plus imparfait aussi, tous les écrans et les lumières sont restés à l’arrêt. Seules les lumières de secours étaient allumés. Et là, un autre concert a commencé, nous sommes passé en vitesse ‘lumière’. Le Boss s’est planté devant le micro et a dit : « Is it curfew time ?… What time is it ? »

Une voix loin du micro, probablement celle de VanZandt a répondu en écho : « It’s BOOOOSS Time ! » Sans lumière, sans écran avec une sono à moitié, le charisme a parlé. Comme me l’écrivait un ami ce matin, il y a eu un avant et un après l’incident ! Avant c’était le BOSS, plusieurs niveaux au dessus de tout le monde. Après, la salle entière est entrée en transe, c’était comme un coup de baguette magique !…. Et on y était ! C’était le concert ultime. Comment un homme sur une scène peut-il procurer tant de bouleversements dans l’esprit de tant de gens ? Comment un homme devant une foule immense peut-il devenir un ami ? Comment un homme avec une guitare et des musiciens autour de lui peut-il être bien plus qu’un rockeur ? En assistant à un de ses concerts, on comprend comment cela est possible, on comprend que c’est justement parce qu’il est un homme.
Le proverbe ‘springsteenien’ se vérifie toujours : Il y a ceux qui ont vu le Boss en concert et ceux qui ne sont pas encore fans !
Ça fait du bien de voir des gens heureux, certes ça déclenche des larmes et un flot d’émotions tellement fort, incontrôlable, mais ça fait du bien mon frère…
3h48 minutes de concert. Hier à Paris… j’y étais.