Salut vieux,
Je dis vieux, mais je sais que tu ne seras jamais vieux. Et pour cause…depuis mi-décembre 1999. Putain… 20 ans !
J’étais petit…
J’aime bien cette période de l’année, ce n’est pas triste, c’est une période de souvenirs. Comme tous les vieux, il t’arrivait de parler de ta fin. Sans te plaindre pour autant. Sûrement un réflexe qui vient avec l’âge lorsque la masse des souvenirs devient plus importante que la rareté des projets.
Tu y pensais donc, à ta mort. Sans forcement en avoir peur, une simple préoccupation vis à vis de l’inconnu. Tu l’évoquais rarement, mais toujours avec ironie. Comme pour conjurer le mauvais sort. Sur le même ton, tata Nanette te répondait : “Bah, ça nous fera une sortie ! ” De temps en temps elle variait son discours par un : “Vous inquiétez pas, la mauvaise graine ne meurt pas !”
Puis un jour tu es parti. La scène ressemblait presque à celle d’un quai de gare sur lequel des gens s’envoient des baisers. Sauf que là, on n’a pas eu vraiment le temps de t’embrasser, ni même de te dire au revoir. Quand bien même on aurait eu ce temps, se serait-on résolu à accepter que tu partes ? Une chose est frappante. Juste avant que tout ne se termine, les minutes paraissent s’écouler lentement. Pourtant le temps défile à toute allure, inexorablement, définitivement. Chaque seconde est un trésor dont on ne pourra estimer le prix qu’après. Et lorsqu’on s’aperçoit que c’est fini, que le train a quitté le quai, que ses lumières se sont éloignées, évanouies puis disparues petit à petit, alors on sait. Les yeux se ferment. Ni demain, ni jamais. Le train ne reviendra plus jamais.
Désespoir, regrets. Regret de ne pas avoir parlé une dernière fois des choses que tu aimais. Et surtout de ne pas t’avoir dit une première fois que je t’aimais. Pourquoi n’ose-t-on pas le dire avant ? Avant qu’il ne soit plus possible de le dire. Les jours qui suivent ne sont pas faciles à vivre. On a envie de revivre par la pensée tous les bons moments de cette vie. Mais la seule pensée qui revienne sans cesse est : mon père est parti. Il ne reviendra pas. Tu as livré ton dernier combat après avoir bataillé des heures dans un hôpital sinistre. Un hôpital est toujours sinistre lorsque sa mission de soigner échoue. Lors de ma dernière visite, quelques heures avant l’issue fatale, j’ai senti tout autour de toi la concubine de l’hémoglobine comme dit la chanson. La mort. Elle était là, prête à faire son œuvre. Elle rodait. Elle était presque palpable tellement elle était présente. Je l’insultais “….cette saloperie !”
Dérisoire rébellion vouée à l’échec. Alors je tentais de l’amadouer, de la flatter pour mieux l’apprivoiser. Faire ami-amie avec elle. Pour qu’elle te laisse du répit, à toi mon papa. Tu lançais tes dernières forces dans la bataille, mais c’était vain. Elle a eu le dernier mot dans la nuit, comme par lâcheté, la peur de t’affronter les yeux dans les yeux. Des yeux que tu avais bleus. Pendant dix huit ans, parce que tu aimais ta famille, tu as lutté contre la maladie. Tu avais gagné la première manche. Mais la vermine est rancunière, de manière insidieuse elle t’avait rongé petit à petit. A 72 ans, elle a finalement eu ta peau et tout le reste.
Nanette avait raison finalement, ça nous a fait une sortie. En nous voyant tristes à l’enterrement, je t’imaginais goguenard, donnant un petit coup de coude à ton voisin de paradis, ton chapeau de cow-boy vissé sur la tête, les mains dans les poches et disant : “…place aux jeunes, j’ai fait mon temps !”
Quelques mois plus tôt, un petit garçon espiègle était né. Où sera-t-il dans 72 ans ?
Eric
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PS : Un jour de mi-décembre 1999, je suis dans ma voiture, il est 18h. Un jour de fin de siècle, un jour pas comme les autres :
La vie c’est du théâtre et des souvenirs
mais nous sommes opiniâtres à ne pas mourir
Ce jour là, en 1999, la radio diffusait Rive Gauche à Paris de Souchon. Souchon, je l’avais rencontré quelques jours auparavant. Ce titre est une bande originale, ou plutôt la musique d’un générique de fin. Quelques instants avant de l’écouter ce jour-là, je venais de passer un moment avec toi, je t’avais embrassé en te quittant, je ne savais pas que c’était la dernière fois que je te voyais. Cette chanson est une douce mélancolie de la vie. Cette chanson est un jour de décembre 1999.