Je vous raconte ici chaque jour, une des étapes de mon voyage avec mon ‘Club des 5’ cet été sur la Route du Blues. Entre Chicago et New Orleans. Le dernier épisode sera constitué d’un maximum de photos.
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Hello everybody,
Une maison en bois, un siège à bascule et une avancée du toit pour m’abriter du vent et de la pluie, voici l’endroit dans lequel je suis installé pour vous écrire aujourd’hui. Comme un vieux bluesman. Il est très tard.
Nous sommes ici avec mon Club des 5. Ou ça ici ? Dans un endroit qui ne doit pas être loin du bout du monde. C’est un hôtel, mais un hôtel comme vous n’en avez jamais vu. Comme il n’en existe simplement pas d’autre.
L’entrée de l’hôtel.
Dans l’après-midi, mon GPS m’avait perdu devant le bâtiment, situé dans un terrain vague. J’avais fait demi-tour croyant m’être trompé, croyant qu’il s’agissait d’une friche industrielle. Ici à Clarksdale, il n’y a quasiment plus que ça, des friches, deux constructions sur quatre sont abandonnées. L’activité s’échappe petit à petit d’ici. Et donc, la vie. La ville meurt, les habitants survivent. La réceptionniste de cet hôtel particulièrement destroy est québécoise. Je lui ai demandé de me parler de la ville :
– Est-ce que ce n’est pas déprimant de vivre et de travailler ici, alors que la ville est à moitié à l’abandon ?
– Si un peu, je suis là depuis six mois, les industries qui sont parties et la crise ont fait ce champ de ruines. Je suis venue ici pour mon mari qui est en Australie.
Je sais, vous vous demandez aussi quel est le rapport, je n’en sais rien. Mais l’amour ne s’explique pas, il se vit, comme le blues. Elle aime vraiment alors elle donne… elle donne son amour. Elle est jolie, a de beaux yeux, c’est surréaliste de voir cette fille sublime et souriante dans cette ville qui est désormais tellement à l’opposé d’un sourire de jolie femme. Un peu comme si la serveuse du Bagdad Café avait été Scarlett Johansson.
Avant d’arriver ici, en partant de Memphis ce matin, nous sommes passé devant l’hôtel où a été assassiné Martin Luther King. Tout a été conservé dans l’état du jour du drame, sa voiture est toujours sur le parking. En face, une femme était là sous des bâches et des cartons… depuis près de trente ans !
Elle proteste contre le fait que le bâtiment soit devenu de fait un monument, alors qu’il devrait être destiné à devenir un centre pour les pauvres. C’est ce qu’elle m’a expliqué. Cela fait longtemps qu’elle est sur ce trottoir pour ce combat qui semble bien vain. Là non plus, ça ne s’explique pas.
Je suis dans un monde tellement différent de celui que nous connaissons, les repères ne sont plus les mêmes. Comme une impression de basculer, je n’ai pas la musique, mais j’ai les mots pour vous raconter cette détresse, même sans la guitare, cela s’appelle du Blues. Ici à Clarksdale, nous sommes là où tout a commencé pour le Blues. Des noirs extrêmement pauvres racontaient leur condition misérable en chanson. Finalement rien n’a changé. Aujourd’hui, nous sommes passés des paillettes de Graceland, maison d’Elvis, que nous avons visitée en début d’après midi aux canapés éventrés des trottoirs de Clarksdale. Gosh !
Graceland ! Chez Elvis.
Ground Zero, le club de Morgan Freeman, l’entrée avec Mike sur le vieux canapé. Et les chiottes à l’intérieur. -T’es certain que t’as envie ?
Sur la terrasse défoncée de Ground Zero au milieu d’une ville complètement abandonnée, il y avait, quand nous sommes arrivés,ce vieux monsieur. Il faisait 43°C, c’était irrespirable. Mike, le vieux en question, a commencé à nous chanter spontanément trois gospels et trois traditionnels du Blues. Tout seul sur ce canapé déguelasse. Je dis vieux, parce qu’à le regarder, il n’avait pas d’âge. En fait quand je lui ai demandé, je m’attendais à ce qu’il me dise « Eighty five man ! »
Il m’a répondu « Fifty eight ! » 58 ans… Sa mère l’insultait quand il était petit, il n’a pas connu son père, il a fait un peu de prison, il nous racontait que Obama avait beaucoup fait pour les banques, et rien pour les noirs pauvres comme lui. Le temps coule pas de la même façon et les rides se marquent davantage au cours d’une vie comme celle-ci. Une vie qui n’a jamais été illuminée par des sourires.
Ce soir donc, j’avais besoin de me poser sur cette terrasse pour penser à ce que j’ai vu aujourd’hui. J’ai vu l’Amérique dont les dépliants publicitaires ne parlent pas. L’Amérique de la face B du 45 tours, l’Amérique du ‘non-american-dream’. C’est la nuit, il est 2h du matin, je suis toujours sur ce fauteuil à bascule. Le ciel est dégagé, je regarde les étoiles, l’une d’elles brille plus que les autres, je me demande si ça n’est pas un clin d’œil que me fait Robert Johnson. Le ‘crossroad’ où il aurait vendu son âme au diable au début du XXéme siècle est en effet à 500 mètres d’ici. Je vous raconterai cette histoire incroyable demain.
Etrange sentiment. J’espère que vous allez bien. A demain, même heure même endroit, je serai encore à Clarksdale, Mississippi.
Eric Laforge
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