– On ne se sortira pas indemne de ce pays !
C’est ce que j’avais répondu à une amie journaliste qui était avec moi lors de mon premier séjour à Cuba. Quand vous prenez la peine de sortir de ces hôtels surpeuplés de gens dangereux, vous découvrez alors des gens en danger. Les premiers sont armés d’appareils photos, de shorts bariolés et soit d’un bob ‘Ricard’, soit d’une casquette de basket suivant leur provenance. Les seconds sont des autochtones, ils vivent là comme ils peuvent. Certains se débrouillent mieux que d’autres. Plus vous vous enfoncez seul dans les quartiers reculés et plus vous trouvez des langues qui se délient à propos du régime en place, mais sans être dupe de cette Amérique qui voudrait refaire de Cuba un Etat américain.
Je vous propose de me suivre lors d’une journée type que je m’organisais sur place pour prendre des photos dans les rues de La Havane, dès 4h du matin.
4h30, dans une rue totalement obscure. Le fantôme d’une belle américaine qui se fait ‘flasher’ comme une vulgaire bagnole en excès de vitesse.
4h40, le linge sèche. Dommage qu’il n’y ait pas … du monde au balcon.
4h45, toujours quelque part dans le quartier Naranjito, un local est allumé, je passe mon appareil à travers le rideau métallique qui sert de porte. La lumière est blafarde, ça semble être un magasin, mais je me demande bien ce qu’on y vend.
5h00, deux ombres s’approchent de moi. Un peu d’angoisse. Finalement rien de suspect, un garçon est une fille sont enlacés. Le garçon me demande de les prendre en photo parce qu’on est le 14 février et qu’il veut un souvenir de ce jour de St Valentin.
5h30, le jour pointe son nez, des silhouettes marchent nonchalamment vers le travail.
5h40, je suis calé derrière mon appareil planté sur son pied. Je fais la mise au point pour tenter de montrer la clarté qui inonde petit à petit la rue. Je vois quatre types qui depuis le bout de la rue se dirigent vers moi. Puis l’un des quatre se détache du groupe, je vois alors que ce sont des policiers. Il vient me demander ce que je fais là, mais se ravise en voyant que je suis un touriste. Et si j’avais été Cubain, que me serait-il arrivé à prendre des photos dans la rue à 5h40 du matin ?
Bientôt l’heure de l’école, à Cuba l’uniforme est de rigueur.
9h15, sous le dôme du Capitol National, réplique presque exacte du Captitol de Washington. Celui de La Havane ferait 50 cm de plus en hauteur !
10h00, devant un comité de défense de la révolution.
10h05, encore du linge.
11h, une scène de rue.
11h00, une cage d’escaliers d’immeuble. L’ascenseur n’est plus qu’un souvenir, condamné désormais par des tôles. Plus de pièces de rechange, l’éternel blocus vient à bout de tout.
11h00, même cage d’escaliers d’immeuble, depuis la rue.
11h15, un bon jus de cane à sucre va me rafraichir.
11h20, dans la rue, un homme m’interpelle, voyant que je fais des photos d’une façade. Il est le directeur d’une école de quartier et me propose d’entrer pour visiter les classes, ce que je fais. Dans chaque classe, il y a une représentation plus ou moins fidèle de Castro et une du Ché. Il y a aussi ce qu’ils appellent El Pannel, un panneau sur lequel se trouvent le drapeau cubain, les paroles de l’hymne, un texte d’explication sur le drapeau et un autre sur la révolution.
11h45 chez Partagas, inévitable détour touristique pour assister à la fabrication de cigares.
12h20 tout aussi inévitable, le détour par la place de la révolution. Ici, du temps de sa splendeur, Castro faisait des discours devant un million de personnes. Il faut dire qu’il était préférable pour chacun d’être là, sous peine d’avoir une visite de la police vous demandant la raison de votre absence.
Dans l’après midi, depuis une terrasse d’immeuble.
Vers 15h30, jours de paye dans cette entreprise.
15h30, la fin de la journée de travail, une petite sieste au boulot. Ça roule !
16h00, le fameux boulevard qui borde la mer, un jour de gros temps. C’est le Malecon.
Même heure, plus ou moins au même endroit. Un trafic qui ferait rêver les utilisateurs du périph de Paris ou du Ring de Bruxelles.
16h15, Hey petit ! Dis à ton père qu’il a quelque chose sur l’oreille !
16h15, la forteresse.
17h00, la autopista (autoroute) vers la plage.
Même endroit, mais le lendemain.
Une impression d’être surveillé en permanence. Un Cubain à qui je disais que La Havane était une belle ville m’a répondu : – Oui, mais ici il y a deux millions d’habitants dont un million de policiers …
Partout des slogans peints sur les murs, comme s’il fallait rappeler à la population les bienfaits de la révolution. Cela dit, il faut bien reconnaître que les bienfaits ne sautent pas aux yeux des habitants qui doivent se débrouiller chaque jour pour tous les actes de la vie quotidienne. Tout ce que nous faisons ici sans même en prendre conscience, là-bas, c’est à chaque fois un combat.
Fin de journée. Des sentiments divers, je suis partagé. Les gens sourient, ils sont toujours de bonne humeur, j’essaie de retenir ça. Mais je n’oublie pas cette dame-pipi au bord de l’autoroute ou ce père de famille que j’ai vus pleurer devant moi. Je leur avais simplement donné des petits savons piqués dans des hôtels et des médicaments rapportés de France. En m’endormant avec toutes ces couleurs en tête, je me demande quand même si la misère est moins pénible au soleil.
Je rêve d’aller à Cuba depuis très longtemps. Merci pour ces photos et bravo pour l’article.
Superbes photos, Eric, et très beau travail sur la lumière !
Le problème, c’est que la misère sans soleil est pareille ! Mais on va rarement se promener dans les quartiers abandonnés de nos grandes villes occidentales, à faire des photos grises comme un jour sans pain, sans rien que la crasse, et pas même la couleur.
Je suis allée à Cuba, je suis allée sur la route du blues: c’était pas la peine de faire des photos, je les retrouves dans TES photos …Même ambiance…Merci Eric et merci aussi pour l’émission du matin, c’est beaucoup mieux qu’avec » l’autre » d’avant 🙂